En matière de programmation énergétique, le Gouvernement veut donner des gages de visibilité, mais continue d'entretenir un flou encore assez épais. Dans une interview (1) donnée au journal Le Figaro ce mercredi 10 avril, le ministre délégué chargé de l'Énergie et de l'Industrie, Roland Lescure, a dessiné sa nouvelle manière d'approcher la loi de programmation ou de souveraineté énergétique (LPEC). Celle-ci était prévue initialement pour juin 2023 dans le code de l'énergie par la loi Énergie-climat (LEC) de 2019. Elle avait été soumise à plusieurs instances consultatives, puis modifiée à la suite du remaniement de janvier dernier, mais n'a jamais été présentée formellement en Conseil des ministres ou au Parlement. Et, de toute évidence, ce véhicule législatif terminera sa course en pièces détachées.
Préférer le débat public au débat parlementaire
La troisième édition de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui comprendra des objectifs de puissance et de production pour les différentes filières renouvelables d'ici à 2030 et 2035, fera l'objet d'une concertation publique de deux mois. Les ministères de l'Économie, dont dépendent les services du ministre de l'Énergie, et de la Transition écologique saisiront pour cela (comme le veut la loi) la Commission nationale du débat public (CNDP) « à la fin de la semaine », pour une ouverture des hostilités « au début du mois de mai », nous indique le cabinet de Roland Lescure. Cette concertation ne discutera pas des objectifs proposés, mais des modalités pour les atteindre et ainsi répondre à certaines des questions suivantes : « Comment faut-il doubler notre puissance éolienne terrestre, en augmentant le nombre de mâts à installer ou en remplaçant ceux qui le sont déjà par de nouveaux modèles plus puissants ? Et doit-on privilégier les toits, les délaissés routiers ou les champs pour poser de nouveaux panneaux photovoltaïques et multiplier par cinq notre capacité solaire ? »
Un repositionnement sous plusieurs formes
L'ex-avant-projet de loi de programmation énergétique se composait par ailleurs d'autres volets dont ce nouveau détricotage s'arrange. D'une part, les dispositions relatives à la « protection des consommateurs » (l'encadrement des fournisseurs d'énergie, le droit à l'information des clients, etc.) seront le sujet d'un « prochain texte législatif ». Le Gouvernement n'a néanmoins pas encore choisi la voie à suivre entre un projet de loi proprement dit ou une proposition de loi soumise par des parlementaires de la majorité. Et il se contente de se fixer « la fin de l'année » comme échéance. Le cabinet de Roland Lescure reste muet quant à la destinée des mesures inscrites pour anticiper le nouveau mécanisme de régulation du marché de l'électricité (dit « post-Arenh », en référence à la révision de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique décidée avec EDF l'an dernier).
Bercy prévoit, d'autre part, de mandater « dans les prochaines semaines » une « mission parlementaire » pour « soulever l'ensemble des questions juridiques et identifier la meilleure solution » pour mettre un terme au contentieux européen sur la mise en concurrence des renouvellements des concessions hydroélectriques (en grande majorité assumées par EDF). Pour rappel, feue la loi de programmation énergétique appelait une ordonnance pour engager des négociations avec Bruxelles et régler cette situation, en gestation depuis 2015.
Contrevenir à la loi ?
Si le Gouvernement semble donc choisir de passer outre l'obligation législative initiale, il ne doute pas de la viabilité de sa stratégie. « Acter des leviers législatifs et réglementaires représente la manière la plus efficace d'appréhender notre programmation énergétique et de répondre ainsi à l'urgence signalée par le Haut Conseil pour le climat (2) », soutient le cabinet de Roland Lescure. Une façon pour le ministre d'éviter de donner trop d'espace et de temps à « la guerre de religions » entre les antinucléaires et les antiéoliens sur laquelle repose trop souvent, selon lui, ce sujet. Le ministère prend, là-dessus, pour preuve les oppositions internes qui ont secoué les Verts lors des discussions de leur proposition de loi de programmation énergétique en commission parlementaire, le mois dernier. Ce projet législatif a néanmoins été adopté et devait être soumis en niche parlementaire aux députés, le 4 avril, mais a finalement essuyé un report sine die.
Certaines associations environnementales, comme Greenpeace France, regrettent ce « simple fait du prince, (en) mépris total et inquiétant du pouvoir législatif ». « Une énième consultation publique, dont les contributions finiront probablement sur la même étagère que celles du Grand Débat de 2019, ou que celles de la grande consultation sur le mix énergétique de 2023, ne peut en aucun cas remplacer la légitimité démocratique du Parlement ni répondre au besoin d'implication et de débat au sein de la population sur les enjeux liés à la transition énergétique », notamment la décision d'un nouveau programme nucléaire, fustige l'ONG.